Le saviez-vous ?


Tordons le coup à quelques croyances ou idées préconçues concernant les vers de terre !…

Trouve-t-on des vers de terre partout dans le monde ?

Presque ! En effet, les vers de terre sont présents sur tous les continents à l’exception de l’Antarctique. Par ailleurs, on les trouve dans tous les habitats terrestres (forêts, prairies, milieux agricoles, zones humides), sauf dans les déserts chauds et les régions polaires.

Connait-on toutes les espèces de France ?

Probablement pas ! Si l’essentiel des découvertes d’espèces nouvelles pour la science sont aujourd’hui faites dans les régions tropicales, certaines espèces inconnues jusque-là sont encore régulièrement découvertes dans les régions tempérées. En France, où l’on a recensé à ce jour 166 espèces, deux espèces nouvelles ont été découvertes en 2020 dans les iles de Port-Cros et de Porquerolles (respectivement nommées Scherotheca portcrosana et Cataladrilus porquerollensis) (Decaëns et al., 2020; Marchán et al., 2020), ce qui n’était toutefois pas arrivé depuis 15 ans. Il fallait remonter, en effet, à 2005 pour assister à la découverte d’une espèce nouvelle pour la science (nommée Octodrilus juvyi) dans le massif de la Chartreuse (Zicsi and Cuendet, 2005).

Tous les vers de terre ont-ils le même impact sur les sols ?

Oui et non. Si la plupart des vers de terre ont un impact notamment sur la porosité du sol, la circulation de l’eau et la dynamique de la matière organique, leur impact sur les sols dépend de nombreux facteurs tels que la catégorie écologique (voir La faune du sol) à laquelle ils appartiennent, leur régime alimentaire et leur morphologie. Par exemple, certaines espèces vont participer à la fragmentation de la matière organique de surface quand d’autres vont enfouir en profondeur des feuille de la litière. La profondeur à laquelle évoluent les différentes espèces ainsi que l’architecture des galeries qu’ils produisent vont avoir un impact considérable sur les mouvements de l’eau et des éléments nutritifs dans le sol.

Certaines espèces sont-elles protégées ?

Malgré la rareté d’un grand nombre d’espèces et l’existence de nombreuses formes endémiques, les vers de terre ne bénéficient d’aucunes mesures de protection à travers le monde. Le vers géant du Gippsland (Megascolides australis), en Australie, constitue une des très rares exceptions. Il est urgent de changer cet état de fait !

Quel taille fait le plus long vers de terre du monde ? Et de France ?

Le plus long vers de terre du monde est un specimen de l’espèce Microchaetus rappi découvert en 1967 en Afrique du Sud. Il atteignait 6,70 m en extension moyenne, pour un diamètre de 2 cm ! Cette observation a même été validée par le livre Guinness des records ! Plus généralement, de nombreuses espèces dépassent les 2 m en régions tropicales.

La France n’est cependant pas en reste puisque Scherotheca gigas, un vers de terre géant que l’on trouve au Pays Basque, peut atteindre 1,10 m, faisant de lui le plus long vers de terre d’Europe !


Pourquoi trouve-t-on souvent de nombreux vers de terre après une forte pluie ?

Une forte pluie, si elle dure suffisamment longtemps, va finir par saturer les sols en eau. Les vers de terre, qui ont une respiration transcutanée (ils ne possèdent ni poumons, ni branchies), ne pourront alors tout simplement plus respirer ! Leur seule échappatoire est de quitter le sol au plus vite, pour y retourner dès que le niveau d’eau aura baissé.

Quand les vers de terre sont-ils apparus sur Terre ?

Selon toute probabilité, les vers de terre, constitués par les annélides terrestres comportant un clitellum (organe producteur de cocons durant la reproduction), sont apparus durant la période cambrienne, il y a plus de 500 millions d’années. Ils sont donc beaucoup… Beaucoup plus anciens que les dinosaures, eux-même apparus il y a « seulement » 240 millions d’années !

Est-il vrai que si l’on coupe un vers de terre en deux, les deux parties survivent et donnent deux nouveaux individus ?

Non ! Dans la plupart des cas, les vers de terre sont capables de régénération seulement s’ils ont été coupés en arrière du clitellum (le gros anneau producteur de cocons en période de reproduction). Et encore… La régénération est généralement partielle, bien visible et morphologiquement moins structurée qu’avant l’ablation. La partie postérieure, elle, ne se régénère pas.

Dans de très rares cas, une ablation effectuée dans les tout premiers segments de l’animal peut mener à une régénération de la tête ! Ce phénomène a, par exemple, été observé chez Eiseniella tetraedra, une espèce de zones humides communément rencontrée en France.

Les vers de terre ont-ils un cerveau ? Et un cœur ?

Oui les vers de terre ont un cerveau. Enfin… Dans une certaine mesure ! Dotés d’un système nerveux complexe, celui-ci est « dirigé » par une paire de ganglions cérébroïdes situés dans la partie avant de ces organismes.

Quant au cœur, ou plutôt aux cœurs, les vers de terre en possèdent généralement de une à 8 paires ! Lutodrilus multivesiculatus, une espèce endémique de l’embouchure du Mississipi, en Louisiane, bat tous les records avec 18 paires de cœurs !

Photographie au microscope électronique des premiers segments d’un vers de terre (Dendrobaena hortensis).

Et du coup… Les vers de terre sont-ils intelligents ?

Le concept d’intelligence animale est en plein débat, aujourd’hui, dans le milieu scientifique. Il apparait beaucoup plus complexe et étendu qu’imaginé initialement. Quoi qu’il en soit, Charles Darwin soupçonnait que le ver de terre avait une sorte d’intelligence basique. Après les avoir vus choisir des feuilles en fonction de leur forme, il a mis en place une expérience avec de minuscules triangles de papier. Comme il l’avait prédit, les vers de terre tiraient les triangles de papier de leurs sommets les plus susceptibles de rentrer facilement dans leurs terriers. D’autres expériences ont montré qu’ils peuvent apprendre à naviguer dans des labyrinthes et à aller plus vite à chaque fois qu’ils les tentent.

Les vers de terre peuvent-ils entendre ?

Oui et non ! Charles Darwin, encore lui, découvrit que si les vers de terre étaient dépourvus d’oreilles, ils pouvaient néanmoins « entendre » ! Quand il plaça un pot rempli de sol et de vers sur son piano, ces derniers s’enfouissaient immédiatement dès qu’il jouait une note ! Darwin découvra ainsi que les vers de terre sont réceptifs aux vibrations sonores, un mécanisme qui leur permet notamment d’échapper à leurs prédateurs naturels tel que la taupe.

Et sont-ils sensibles à la lumière ?

Les vers de terre n’ont pas d’yeux. Cependant, leur système nerveux complexe les rend très sensible à la lumière, à l’exception de la lumière rouge. Ainsi, pour observer des vers de terre circulant de nuit à la surface dans un jardin, l’idéal est de se munir d’une lampe rouge… A condition de faire très attention à ne pas produire de vibrations en marchant sur le sol !

Quelle quantité de sol un vers de terre peut-il ingérer chaque jour ?

Bien sûr, la réponse à cette question dépend de multiples facteurs (espèce concernée, catégorie écologique, environnement, saison,…). Mais on peut dire qu’en moyenne, en milieu tempéré, un vers de terre consomme environ la moitié de son poids corporel chaque jour. En d’autres termes, chaque jour, 2000 vers sont nécessaires pour digérer les déchets organiques d’une famille de quatre personnes.

Peut-il trop… Manger ?

Un fait très intriguant chez les vers de terre est le phénomène d’empoisonnement protéinique. En effet, si un ver consomme des protéines en trop grande quantité, celles-ci peuvent entrainer la mort par fermentation sous l’effet de l’acidité et des bactéries intestinales. Le corps se fragmente alors de façon spectaculaire ! Le sur-nourrissage des vers est donc à éviter absolument lorsque l’on veut constituer un vermicompost.

Vers de terre mort par empoisonnement du à une trop forte consommation protéinique.

Depuis quand étudie-t-on les vers de terre ?

Le probable premier ouvrage occidental traitant des vers de terre date de 1684 par Francesco Redi. Ce savant italien y consigne alors les observations connues à son époque. Plus tard, en 1756, le botaniste Carl von Linné, célèbre pour avoir inventé la nomination binômiale latine des espèces, publie la première description officielle d’un ver de terre, qu’il nomme Lumbricus terrestris. Mais ce n’est qu’en 1826 que Jules-César Savigny, un biologiste français, découvre que les vers de terre sont en fait constitué de plusieurs espèces ! Il décrit ainsi 12 espèces présentes alors dans les jardins du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris.

Les vers de terre et l’histoire des grandes civilisations humaines

Aristote, le philosophe grec, qualifiait les vers de terre « d’intestins de la Terre », en référence à leur incroyable capacité à ingérer du sol et à l’excréter sous forme de turricules fertiles. Dans les régions subtropicales de l’Egypte et de l’Inde, le succès des civilisations anciennes des vallées du Nil et de l’Indus a été en partie du aux sols fertiles crées par les vers de terre et par le renouvellement continu des sols par processus alluvionnaires. Au point qu’en Egypte, durant la période du règne de Cléopâtre (69-30 av. J.C.), les vers de terre ont été élevés au rang d’animaux sacrés ! Plus tard, au 19e siècle, Charles Darwin les considérait comme les animaux ayant joué le rôle le plus important dans l’histoire de la vie sur Terre !

Et s’il pleuvait… Des vers de terre ?

Terminons cette petite revue générale par un phénomène des plus étranges !…

Lors d’une sortie en ski le 15 avril 2015 dans les montagnes de Bergen, en Norvège, le professeur de biologie Karstein Erstad a remarqué la présence de milliers de vers de terre sur la surface de la neige. Pensant tout d’abord que ceux-ci s’étaient frayé un chemin depuis le sol sous jacent, il a rapidement éliminé cette hypothèse tant l’épaisseur de neige était importante, de 50cm à 1m selon les endroits. Bien trop épaisse pour qu’une telle masse de vers ait pu la traverser. Bientôt, d’autres témoignages vinrent confirmer le phénomène, de l’ouest de la Norvège, où des gens affirmèrent avoir été frappés par des vers de terre tombés du ciel, jusqu’à la frontière suédoise, plus à l’est. Cherchant à résoudre cet énigme, Karstein Erstad découvrit des rapports suédois datant de 1920 et racontant le même épisode, présenté alors comme extrêmement rare.

Débordant largement des frontières de la Scandinavie, de telles « pluies de vers de terre » ont en fait été signalées un peu partout : en 1872 à Somerville dans le Massachusetts, en 1877 à Oslo en Norvège, en 1924 à Halmstad en Suède, en 2007 en Louisiane, ainsi qu’à Galashiels en Ecosse, le 29 mars 2011, où un professeur de sport a du interrompre les activité de sa classe, une quantité impressionnante de vers de terre tombant littéralement du ciel sur le terrain de foot sur lequel ils évoluaient !

Réalité ou fiction ? Phénomène météorologique inconnu ? Pour l’instant, le moins que l’on puisse dire est que la science n’a pas vraiment de réponse à fournir ! Peut-être un jour…

Références bibliographiques

Decaëns, T., Lapied, E., Maggia, M.E., Marchán, D.F., Hedde, M., 2020. Diversité des communautés d’annélides terrestres dans les écosystèmes continentaux et insulaires du Parc national de Port-Cros. Sci. Rep. Port-Cros natl. Park, 34: 69-99.

Marchán, D.F., Decaëns, T., Diaz Cosin, D.J., Hedde, M., Lapied, E., Domínguez, J., 2020. French Mediterranean islands as a refuge of relic earthworm species: Cataladrilus porquerollensis sp. nov. and Scherotheca portcrosana sp. nov. (Crassiclitellata, Lumbricidae). European Journal of Taxonomy, 701: 1-22.

Zicsi, A., Cuendet, G., 2005. Ueber eine neue Octodrilus-Art aus Frankreich (Oligochaeta: Lumbricidae). Revue Suisse de Zoologie, 112(2): 329-331.