La faune du sol


10 à 30 cm

C’est la couche supérieure du sol qui passerait dans le tube digestif des vers de terre tous les 10 ans

40 à 100 tonnes

C’est la quantité de déjections de vers de terre (appelées « turricules »), qui enrichissent les sols par an et par hectare

5 à 10

Ces turricules contiennent 5 à 10 fois plus d’azote, de phosphore et de potassium qu’un sol dépourvu de vers de terre

200 kg

C’est la quantité de vers de terre présents par hectare aujourd’hui contre 2 tonnes dans les années 1950, du fait de l’usage des pesticides et de l’artificialisation des sols


Ces chiffres sont révélateurs du rôle fondamental que jouent les vers de terre dans la structuration des sols et des écosystèmes… Bien-sûr, il s’agit de moyennes et ces données peuvent considérablement varier d’un milieu à un autre et d’une zone géographique à une autre. Par ailleurs, au-delà des vers de terre, la faune du sol comprend également de nombreux autres organismes dont l’action vient renforcer ou compléter celle des vers de terre (voir plus bas).

Globalement, et quel que soit le type d’environnement ou de climat, l’impact de la faune sur les sols s’articule autour de 4 axes majeurs :

  • Fragmentation et décomposition de la matière organique : processus à la base du recyclage des éléments organiques et de la vie des écosystèmes,
  • Augmentation de la circulation des nutriments : brassage indispensable à la remontée d’éléments profondément enfouis dans le sol et dont l’absorption par les racines des plantes est ainsi rendue possible,
  • Formation de galeries : les kilomètres de réseaux ainsi mis en place favorisent considérablement la circulation de l’eau et la pénétration des racines dans le sol,
  • Formation d’agrégats : structures de tailles variées conditionnant à la fois la séquestration d’éléments nutritifs proches de la surface et la porosité du sol, elle-même à la base de la circulation de l’air.
Turricule de vers de terre, riche en nutriments.
Les trois principales catégories écologiques de vers de terre
et les architectures de galeries correspondantes.

De part leur activité, leur morphologie et leur position dans le sol, les scientifiques classent depuis les années 1970 les vers de terre en plusieurs catégories écologiques, dont trois principales : les espèces épigées, les anéciques et les endogées. Plus tard, cette classification a été affinée et on distingue aujourd’hui plusieurs variantes, ou sous-catégories, au sein de ces grandes divisions. Cependant, de nombreuses espèces peuvent simultanément appartenir à plusieurs de ces catégories.

  1. Les espèces épigées : ce sont les espèces de surface qui évoluent hors du sol minéral, le plus souvent dans la litière, milieu riche en matière organique. Très exposées aux prédateurs, elles ont développé en retour une pigmentation cutanée leur assurant un camouflage efficace, une capacité de déplacements rapides et un fort taux de reproduction;
  2. Les espèces anéciques : de grandes tailles, les vers de terre anéciques vivent en profondeur mais viennent se nourrir quotidiennement en surface. Ils construisent de longues galeries verticales plongeant parfois jusqu’à un à deux mètres dans le sol, au sein desquelles ils enfouissent des feuilles de la litière qui, une fois décomposées, serviront de stock de nourriture. En période froides ou de fortes sécheresses, ils ralentissent leur métabolisme et entre en diapause, un état léthargique permettant une grande économie d’énergie. D’une manière générale, les espèces anéciques sont d’une grande importance dans le brassage des nutriments du sol et la remontée d’éléments minéraux vers la surface. Leurs galeries facilitent considérablement la pénétration des racines ainsi que l’aération et la circulation de l’eau dans les sols;
    • Les épianéciques : il s’agit-là d’espèces au cycle biologique intermédiaire entre épigés et anéciques. Au stade juvénile, ces vers vivent en surface et ont un comportement épigé. Une fois atteint le stade adulte, ils deviennent anéciques.
  3. Les espèces endogées : à l’inverse des vers épigés, les espèces endogées vivent en profondeur dans le sol, à au moins plusieurs dizaines de centimètres sous la surface. Sans pigmentation cutanée, elles sont souvent géophages, de forme tubulaire et se déplaçant par ingestion de sol, ou rhizophages, sveltes et consommant des racines mortes. On distingue en particulier :
    • Les endogés polyhumiques, dont la richesse des terricules en matière organique est élevée;
    • Les endogés mésohumiques, dont cette richesse est moyennement élevée;
    • Les endogés oligohumiques, dont les terricules sont pauvres en matière organique;
  4. Les espèces hygrophiles : il s’agit d’espèces adaptées aux sols saturés en eau. Parmi elles, on distingue :
    • Les espèces rhéophiles, très filiformes et regroupés en pelotes filtrant les courants d’eau intra-sédimentaires;
    • Les espèces hygrophiles regroupant des endogées, voire épigées ou anéciques, mais adaptées à des sols temporairement ou en permanence inondés;
  5. Les espèces arboricoles : contre toute attente, certains vers de terre peuvent se rencontrer dans les arbres, jusqu’à plus de 30 m de hauteur ! Une espèce en particulier, Allolobophoridella eiseni, se retrouve régulièrement au sein de la matière organique du fond de cavités d’arbres ou de loges de pics. Le moyen par lequel ces vers atteignent ces micro-habitats suspendus n’est pas encore clair. Certains spécimens ont été vus grimpant le long de troncs en périodes pluvieuses. D’autres sont peut-être apportés sous forme de cocons accrochés aux pattes d’oiseaux carvernicoles.

Les différentes catégories écologiques chez les vers de terre

La faune du sol et ses différentes composantes

On l’a vu, la faune du sol comprend de nombreux organismes autres que les vers de terre. De manière simplifiée, on divise cette faune en trois grandes classes en fonction de la taille des espèces les composant : la macrofaune (taille comprise entre 4 et 80 mm), la mésofaune (0,2 à 4 mm) et la microfaune (taille inférieure à 0,2 mm). Seules seront traitées ici les macro- et mésofaune.

La macrofaune

Pour l’essentiel, la macrofaune du sol (>2mm) comprend nombre d’insectes, sous forme adulte ou larvaire, les myriapodes (ou millepattes), de nombreuses espèces d’araignées, les isopodes (ou cloportes) et, souvent oubliés, les mollusques (escargots et limaces). L’abondance relative de ces différents groupes varie considérablement d’un type de sols à un autre, d’un climat à un autre ou d’une saison à une autre.

  • Les insectes adultes :
    1. Les fourmis : parmi les insectes du sol, les fourmis jouent un rôle absolument considérable ! Vivant dans des milieux variés, elles installent leur nid la plupart du temps sous terre. Phytophages, granivores, carnivores, le plus souvent omnivores, elles constituent un des plus importants groupes de la faune du sol. Leur abondance fait que leur rôle dans la régulation des populations de proies autant que leur activité de fouisseuses et de creuseuses de galeries sont un élément majeur dans la structuration des sols.
    2. Les coléoptères : il s’agit là de rien de moins que le groupe animal le plus diversifié sur Terre ! Sur les 1,8 millions d’espèces marines et terrestres connues à la surface du globe, 1,5 sont des insectes coléoptères ! Une telle diversité entraine des régimes alimentaires extrêmement variés. Dans les sols, ils jouent un grand rôle en tant que décomposeurs. Par ailleurs, les espèces prédatrices et les mycophages participent à l’équilibre biologique général des écosystèmes.
    3. Les termites : si leur présence dans les sols tempérés est presque anecdotique, elles constituent, avec les fourmis, l’acteur dominant dans la structuration des sols tropicaux, qu’ils soient humides ou désertiques. Elles jouent alors un rôle essentiel dans les modifications chimiques et physiques des sols, ainsi que dans la décomposition et le recyclage des matières ligneuses et des débris végétaux.
  • Les larves d’insectes : dans les sols, les larves d’insectes dominantes sont celles des diptères (insectes ne possédant qu’une paire d’ailes, tels les mouches) et des coléoptères. Encore relativement mal connues, elles participent activement à la fragmentation de la litière, parfois jusqu’à 15% des feuilles tombées en automne. Mais leur rôle majeur réside dans la décomposition des cadavres animaux et le recyclage des excréments de vertébrés. Les larves de coléoptères, quant à elles, sont essentiellement prédatrices et contribuent ainsi à l’équilibre des communautés animales du sol.
  • Les myriapodes : les myriapodes, ou millepattes, se subdivisent en deux grands groupes : les diplopodes, possédant deux paires de pattes par segment, et les chilopodes, n’en possédant qu’une paire.
    1. Les diplopodes : ce sont des fragmenteurs importants dans les sols et les bois morts humides. A eux seuls, ils peuvent consommer jusqu’à 25% des litières annuelles. Cependant, certaines espèces peuvent être des ravageurs occasionnels des cultures.
    2. Les chilopodes : contrairement aux diplopodes, les chilopodes (ou scolopendres) sont des prédateurs. Ils jouent un rôle important dans la régulation des populations de proies.
  • Les araignées : comme les chilopodes, les araignées sont des prédateurs dominants dans la régulation des populations de la faune des sols. La diversité de taille des espèces leur permet de couvrir un large spectre de tailles de proies.
  • Les isopodes : les isopodes (ou cloportes) sont les seuls crustacés au cycle de vie entièrement terrestre. Très fréquents dans les sols et les bois morts, ce sont avant tout des fragmenteurs de litière. Avec les diplopodes, ils peuvent découper de 30 à 50% de la litière annuelle.
  • Les mollusques : souvent associés à des sols peu évolués ou remaniés, les gastéropodes terrestres (escargots et limaces) produisent de grandes quantités d’excréments constitués de litière finement fragmentée et imprégnée d’un large panel d’enzymes, dont des cellulases (permettant de digérer la cellulose, constituant de base des plantes généralement difficile à digérer par les animaux). Par ailleurs, le mucus qu’ils produisent contribue, comme celui des vers de terre, à la formation de microagrégats.
Clé de détermination simplifiée de la macrofaune du sol (adaptée d’après Brun et Danieli, 2020)
Insecte coléoptère adulte
Isopode (cloporte)

La mésofaune

Tout comme la macrofaune, la composition relative de la mésofaune d’un sol (0,2-2mm) varie fortement en fonction du type de milieu, du climat et de la période de l’année. Les principaux organismes constituant cette fraction de la faune du sol sont les collemboles et les acariens.

  • Les collemboles : omniprésents dans les sols, les collemboles y sont des décomposeurs majeurs. Ils contribuent à la microfragmentation et au brassage de la matière organique, ainsi qu’à la régulation des bactéries du sol. Ils influent également sur la dynamique des populations fongiques qui jouent un rôle crucial dans la décomposition de la matière organique. Ce groupe se subdivise morphologiquement en deux branches : les arthropléones et les symphypléones (voir photos ci-dessous).
  • Les acariens : d’une manière générale, les acariens occupent un grand nombre d’habitats et assurent des fonctions très variées, tantôt phytosaprophages, tantôt prédateurs ou suceurs de sève. Dans les sols, les acariens oribates jouent un rôle important et très similaires aux collemboles.
Collembole arthropléone
Collembole symphypléone

La taxonomie et la répartition géographique des vers de terre

Présents partout dans le monde et occupant tous les habitats hormis les déserts chauds et les milieux polaires, 23 familles, 400 genres et près de 6000 espèces de vers de terre ont été décrites à l’échelle mondiale. On estime pourtant ne connaitre qu’à peine un tiers des espèces probablement existantes sur Terre. En France métropolitaine : 9 familles, 40 genres et 166 espèces dont 9 espèces invasives (Amynthas corticis, A. indicus, A. rodericensis, Eukerria saltensis, Metaphire houlleti, M. posthuma, Microscolex dubius, M. phosphoreus et Pheretima luzonica). En 2020, deux espèces nouvelles pour la science ont été découvertes dans les iles de Port-Cros et de Porquerolles (respectivement nommées Scherotheca portcrosana et Cataladrilus porquerollensis) (Decaëns et al., 2020; Marchán et al., 2020), ce qui n’était pas arrivé depuis 15 ans.

Partie antérieure d’un vers de terre montrant les organes digestifs et génitaux
Systèmes digestif, excréteur et sanguin chez un vers de terre

L’identification des espèces, et plus généralement la taxonomie des vers de terre est très complexe. Pour qui n’est pas familier avec cette discipline, rien ne ressemble plus à un vers de terre qu’un autre vers de terre, mis à part quelques variations éventuelles de coloration ! En fait, si certains caractères morphologiques externes sont utiles à l’identification d’une espèce, une dissection et une analyse de l’anatomie interne est le plus souvent indispensable.

Mais avant de dire quelques mots sur les principaux caractères utilisés en taxonomie, rappelons quelques éléments de base sur la morphologie et le mode de reproduction des vers de terre…

D’une part, ce sont des animaux « métamérisés« , c’est à dire dont le corps est divisé en de nombreux segments dont la plupart sont identiques (à l’exception des segments antérieurs). D’autre part, ils sont hermaphrodites, c’est à dire porteurs à la fois des caractères sexuels mâles et femelles. Au moment de la reproduction, qui s’effectue dans les régions tempérées essentiellement au printemps et en automne, deux individus s’associent tête-bêche (voir la photo en en-tête de cette page) pour s’échanger leur semence mâle qui sera stockée dans des organes dédiés : les spermathèques. Dans un second temps et après séparation des deux partenaires, le clitellum, gros anneau turgescent situé dans le tiers antérieur de l’animal, va produire un « oeuf » (qu’on nomme « cocon »). Celui-ci, contenant la semence femelle du ver, va progressivement glisser vers l’avant et se charger de la semence mâle initialement stockée dans les spermathèques. Le cocon, au sein duquel les semences mâle et femelle vont entrainer le processus de fécondation, est ensuite largué dans le sol.

Or, si le mode de reproduction est si important pour l’identification des espèces, c’est que la structure et la position des organes impliqués est déterminante. Ainsi, la structure et la position du clitellum, des organes sexuels mâles et femelle et des spermathèques sont les caractères morphologiques à la base de la taxonomie des vers de terre. Ces éléments anatomiques sont souvent complétés par la structure et la position de certains organes liés au système digestif et au système sanguin.



Références bibliographiques

Brun, J.-J., De Danieli, S., 2020. Earthworms, our partners for resilient, living soil in the mountains. INRAE, 48 pp.

Decaëns, T., Lapied, E., Maggia, M.E., Marchán, D.F., Hedde, M., 2020. Diversité des communautés d’annélides terrestres dans les écosystèmes continentaux et insulaires du Parc national de Port-Cros. Sci. Rep. Port-Cros natl. Park, 34: 69-99.

Marchán, D.F., Decaëns, T., Diaz Cosin, D.J., Hedde, M., Lapied, E., Domínguez, J., 2020. French Mediterranean islands as a refuge of relic earthworm species: Cataladrilus porquerollensis sp. nov. and Scherotheca portcrosana sp. nov. (Crassiclitellata, Lumbricidae). European Journal of Taxonomy, 701: 1-22.